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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Voilà tout ce qu’on a su de certain sur la catastrophe. Dans le premier moment, on a cru que, se fiant sur son adresse et son agilité, monsieur le duc d’Orléans avait voulu s’élancer pour arrêter les chevaux et s’était trouvé embarrassé dans un manteau et accroché par ses éperons.

Il a été constaté qu’il n’avait ni manteau ni éperons, et, d’ailleurs, il serait tombé en avant, tandis que la fracture a prouvé que la chute s’était faite en arrière. Il paraît plus probable que, pendant qu’il se tenait debout sur cette voiture à ressorts bondissants, servant comme de tremplin, elle rencontra quelque obstacle dont le cahot l’aura lancé au loin. La moindre assistance l’aurait sauvé, et si, contre son ordinaire, il n’avait pas été seul, ce fatal accident se trouvait évité.

Le postillon, ignorant de ce qui se passait, avait réussi à se rendre maître des chevaux ; il se retourna et, voyant la voiture vide, il revint sur ses pas. Il arrivait au moment où l’on déposait son malheureux maître dans la cahute d’un marchand de légumes, semi-épicier.

Elle se composait d’une échoppe sur la route, d’une petite chambre carrelée, sans aucun meuble, prenant son jour dans une cour à fumier, et d’un troisième bouge, privé de fenêtre, ouvrant par une porte sur cette même cour.

C’est dans la pièce du milieu qu’on étendit monsieur le duc d’Orléans sur un méchant matelas, et c’est là que, six heures après, il expirait, entouré de toutes les grandeurs de l’État, dans cette misérable habitation.

La nouvelle de la chute parvint au palais de Neuilly au moment où la Reine et madame Adélaïde, renonçant à y voir arriver monsieur le duc d’Orléans, se disposaient à accompagner le Roi qui allait tenir aux Tuileries un