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MORT DE MADAME ADÉLAÏDE

Mortier) la même démarche qu’elle hasardait vis-à-vis de moi. Je l’y encourageai et je lui dis n’accepter aucunement ses adieux ; mais je n’y comprenais rien.

Deux jours après, le comte Mortier entra dans ma chambre, et son aspect me révéla le mystère : le pauvre Hector était fou !

Il arriva coiffé d’un foulard rouge sous une casquette, avec une veste ronde de gros molleton, des pantalons à pied, et presque en pantoufles. Sa physionomie ne démentait pas son costume, et son regard était effrayant. J’ai toujours eu très peur des fous, mais il m’inspira une si profonde pitié que ce sentiment l’emporta : « Savez-vous, me dit-il en entrant, que Léonie m’a quitté ? » Je répondis que non.

Alors, il se mit à déblatérer contre elle. Je lui demandai ce qui pouvait être arrivé, car il ne m’en avait jamais parlé qu’avec des transports d’adoration et d’admiration.

Il recommença ses invectives. Toutefois, les plus grands griefs qu’il articula contre elle étaient de s’être promenée à Turin avec un mantelet arrivant de Paris et qui avait tellement attiré les yeux que plusieurs dames en avaient demandé le modèle, comme s’il convenait à une mère de famille de se poser en femme donnant la mode. Une autre fois, sous prétexte d’avoir trop chaud, elle avait ouvert le manteau dont il l’avait enveloppée pour sortir du théâtre afin de faire admirer sa taille à la garde formant la haie pour le passage du Roi. Elle le soignait mal, en outre, quand il était malade ; elle lui avait donné à Mons un bouillon trop salé, sans l’avoir préalablement goûté.

Je combattais hardiment toutes ces accusations les unes après les autres, en affirmant qu’elles ne méritaient pas de chasser une épouse et de séparer une mère de