Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome V 1923.djvu/83

Cette page a été validée par deux contributeurs.
80
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

étaient alarmés de ces symptômes, hormis peut-être ceux qui auraient pu y apporter quelque remède.

Vers la fin d’août, le chancelier et moi comptions nous rendre à Trouville lorsque je reçus un billet de lui m’apprenant l’assassinat de la duchesse de Praslin. « Tout annonce, ajoutait-il, que le crime a été commis par son mari… ce mari est pair… Vous comprenez le reste, et je ne puis vous accompagner à Trouville. »

Je renonçai d’autant plus facilement pour mon compte à ce voyage que je souffrais beaucoup de mon pied.

Je n’entrerai dans aucun détail sur cet affreux procès. Il porta jusqu’à l’exaspération le mécontentement parmi le peuple. On disait hautement qu’on trouverait bien le moyen d’innocenter monsieur de Praslin parce que les riches n’étaient jamais condamnés. Ce fut cette disposition de l’esprit des masses qui décida le chancelier à agir plus en homme d’État qu’en magistrat.

La Chambre des pairs étant omnipotente dans sa juridiction, il poursuivit le procès, quoique la mort de l’accusé eût dû légalement le faire tomber de droit, et il amena l’instruction jusqu’à un résultat, rendu public, prouvant la culpabilité aussi bien que le suicide du duc de Praslin.

Cela n’empêcha pas de répandre et d’accréditer le bruit qu’on avait fait évader ce duc et pair pour éviter de le juger. L’arsenic, avalé par lui, était pourtant le seul agent employé à cet effet. Néanmoins, les journaux et les orateurs de sociétés secrètes continuèrent à vociférer et à exciter les masses contre la corruption et les crimes des classes élevées. Le précipice se creusait de plus en plus.

Je regrettais fort la pauvre madame de Praslin, bonne et aimable personne. La dernière visite qu’elle ait faite, je crois, était chez moi, la veille du jour où elle partait