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MORT DE MADAME ADÉLAÏDE

suite d’une négociation à l’amiable, le cabinet de Londres voulut bien se tenir pour satisfait par cet acte de justice.

Jamais mauvaise affaire n’avait été terminée plus heureusement. Ce n’était assurément pas aux français à s’en plaindre ; peut-être les anglais y auraient-ils eu meilleure grâce. Il semblait qu’un si petit événement pour le fond, terminé si pacifiquement pour la forme, ne devait laisser aucune trace.

Mais les journaux s’en emparèrent ; chaque jour ils insistaient sur l’abaissement de la France. Les plus habiles poussèrent leur pointe en voyant la niaiserie du public ; ils finirent par exalter le sentiment national à un point impossible à prévoir.

Les élections s’étaient faites sous cette impression. Beaucoup de députés avaient reçu de leurs commettants l’injonction de voter contre l’affaire Pritchard. Les conservateurs furent qualifiés de pritchardistes et de satisfaits (un orateur du gouvernement s’étant servi de cette expression au sujet de cette misérable affaire Pritchard) et ces appellations leur étaient prodiguées comme la plus grave des insultes.

Je me rappelle qu’un légitimiste semi-rallié, bon, loyal, éclairé même, s’étant servi de l’expression pritchardiste devant moi, je lui en fis la guerre, et j’entrepris de lui raconter en détail toute cette sotte aventure. Il m’écouta avec une certaine attention et une grande déférence, et puis il reprit :

« Mais voyez-vous, chère madame, c’est que je suis très français moi, et je me sens humilié jusqu’au fond du cœur. »

Lui, était de bonne foi. Mais il n’y avait rien à faire contre l’esprit de parti, exploité si habilement. Cette intrigue a joué un très grand rôle pendant ces dernières