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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

prisonnier y ait jamais été conduit. On avait même reconnu l’impossibilité d’y faire séjourner une garnison.

L’amiral Dupetit-Thouars, avec un zèle assez intempestif, y ajouta, un peu subrepticement, le protectorat de la France sur le groupe des îles de la Société. Il s’était établi dans la rade d’Otaïti, appelé, disait-il, par Pomaré, reine de ces îles.

Cela entraîna quelques difficultés entre les cabinets de France et d’Angleterre. Lord Aberdeen, aussi bienveillant pour la maison d’Orléans que lord Palmerston lui a toujours été hostile, traîna l’affaire en longueur et le protectorat de ces îles nous demeura.

Or il s’était établi à Tahiti, depuis plusieurs années, un nommé Pritchard. Il était tout à la fois conseiller et ami de la reine Pomaré, missionnaire méthodiste, distributeur de bibles, seul pharmacien dans le pays et, par-dessus tout, reconnu consul anglais.

Le parti français s’avisa qu’il intriguait contre lui et, une belle nuit, l’envoya saisir dans sa maison, le fit prisonnier, pilla son domicile et l’emmena à bord d’une des frégates où il passa plusieurs jours à fond de cale. Je ne me rappelle plus comment il en sortit.

Ses réclamations arrivèrent en Angleterre et le parti méthodiste surtout jeta les hauts cris. Si le cabinet britannique avait été hostile, il y avait certainement sujet à demander hautement réparation de cette insulte faite à un consul anglais.

Lord Aberdeen y apporta une grande longanimité. Il fut convenu que, pour apaiser les clameurs du parti ultra-religieux, on ferait l’estimation des pertes éprouvées par monsieur Pritchard dans la destruction de son mobilier et de ses fioles brisées lors de son enlèvement.

La somme en fut fixée à quatre cents livres sterling (qui, par parenthèse, n’ont jamais été payées), et, à la