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MORT DE MADAME ADÉLAÏDE

L’hiver se préparait donc sous des auspices moins tristes que les précédents. Les fêtes sont toujours très populaires à Paris où elles font circuler l’argent ; et, d’ailleurs, le mariage de l’infante flattait l’opinion du pays, dans la pensée surtout qu’il déplaisait aux anglais. Car, en dépit de l’entente cordiale vantée par les gouvernements, les animosités nationales n’ont jamais cessé d’exister.

Cependant, les gens fort au courant s’inquiétaient de plus en plus. Le Roi avait toujours eu des accès d’une extrême violence, mais ils étaient rares et, chaque jour, il devenait de plus en plus irascible. Il maniait bien la parole et avait toujours aimé à en user, mais, à présent, il la prodiguait jusqu’à la loquacité.

Quelquefois, les conseils s’achevaient sans qu’on eût pu y discuter les affaires, parce que le Roi avait constamment parlé ; et ces tristes symptômes d’affaiblissement moral ne permettaient guère de sécurité à ceux qui en étaient témoins, excepté pourtant à monsieur Guizot dont l’optimisme ne se laissait pas décourager et dont la superbe était encore augmentée par ce qu’il qualifiait de son succès espagnol.

Ce succès, cependant, avait apporté une grande désunion dans le ministère. Monsieur Duchâtel, assez souffrant, et déjà très mécontent de l’élévation de monsieur Guizot à la présidence du Conseil, avait été, très justement, fort offensé d’apprendre la nouvelle d’un événement aussi important par le Moniteur, tout comme l’avait appris le chancelier.

Les détails de la transaction ne l’y avaient pas réconcilié, et il témoignait d’une grande froideur, tout en négligeant plus qu’il n’aurait dû les affaires publiques. Il aurait bien voulu se retirer, sous prétexte de sa santé, mais le Roi, et même monsieur Guizot, sentant bien