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MORT DE MADAME ADÉLAÏDE

animé ; je le trouvai gris et plombé ; son regard était éteint et ses lèvres pâles. Si les dix-huit chevrotines, tirées par Lecomte, s’étaient logées dans la voiture qui contenait quatorze personnes, sans en toucher aucune, madame Adélaïde n’en a pas moins reçu par lui le coup de la mort.

Elle fut longtemps à reprendre la parole et me raconta, d’une manière assez diffuse, l’événement arrivé la veille, revenant toujours à cette exclamation : « Nous voilà rentrés dans la série des assassinats ; ils le tueront, ma chère, ils le tueront ! »

Son inquiétude portait bien plus sur le Roi que sur le danger qu’elle et toute la famille avaient couru autant que lui. Je restai assez longtemps auprès de madame Adélaïde. Son étouffement s’arrêta. Elle finit par pleurer, ce qui ne lui arrivait guère, et je la laissai un peu plus calme.

J’allai de là savoir des nouvelles de la Reine. Elle me fit entrer. Je la trouvai fort triste, mais beaucoup moins troublée que sa belle-sœur. Elle me raconta, avec plus de détails et d’une façon beaucoup plus claire, cet abominable attentat et les hasards providentiels qui l’avaient fait échouer.

En général, les récits de madame Adélaïde étaient les plus circonstanciés, mais, cette fois, il en fut tout autrement. Cette princesse n’avait jamais eu de bienveillance pour le parti légitimiste. On ne lui avait pas laissé ignorer combien, à la mort de monsieur le duc d’Orléans, il avait témoigné d’une joie tout au moins bien cruelle, et l’hostilité qu’elle éprouvait contre lui s’en était naturellement accrue.

Elle le soupçonnait dans toutes les occasions, et se persuada que Lecomte était son agent. La duchesse de Marmier, fort sotte et encore plus intrigante, lui apporta,