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MORT DE MADAME ADÉLAÏDE

En un mot, si on peut s’exprimer ainsi, madame Adélaïde était toujours sur le qui-vive. Je ne crois pas que cette princesse, autrefois si constamment occupée, ait lu un volume, écrit dix pages, ou même déployé un ouvrage pendant ces années-là. Ses matinées tour entières se passaient à attendre.

Elle s’intéressait même moins, et surtout moins sérieusement, aux affaires publiques. Elle s’irritait principalement de ce qui pouvait gêner le Roi et n’écoutait volontiers que ce qu’elle pensait lui devoir plaire.

C’était pourtant encore la seule voie par laquelle on pût faire arriver quelques vérités ; j’en usais parfois, à l’instigation du chancelier.

Monsieur le duc d’Aumale, retourné en Algérie, y avait eu les plus brillants succès. Cette campagne fut suivie d’un voyage à Naples. Il en avait ramené comme épouse la nièce du Roi, fille du prince de Salerne.

Ce mariage, conduit dans toutes les formes diplomatiques et point aussi pittoresquement que celui du prince de Joinville, fit grand plaisir dans la famille et nul effet dans le public[1]. C’était un ménage de plus aux Tuileries, et voilà tout.

  1. À l’époque de ces noces, ce me semble, madame Adélaïde me fit le récit suivant.

    Il y avait eu, la veille, un repas de gala à Saint-Cloud et, dans ces occasions solennelles, apparaissait un magnifique service de Sèvres, commencé par Louis XV, augmenté par ses successeurs et représentant les portraits des hommes illustres de l’histoire ancienne et moderne.

    Monsieur Thiers dînait à côté de madame Adélaïde. Il était depuis quelques moments penché sur son assiette, et se parlait à voix basse.

    « Que dites-vous donc là ? lui demanda-t-elle enfin.

    — Ce que je dis !… ce que je dis !… Je dis que voilà ce que je devais être !… voilà ce que je suis !… voilà ce que je serai… »

    Et il lui présenta l’assiette sur laquelle était le portrait du maréchal de Turenne. Madame Adélaïde se mit à rire.

    « Ne riez pas, c’est sérieux, très sérieux, ce que je vous dis là… »