Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome V 1923.djvu/53

Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

superbe et sa prétention à paraître tout gouverner, monsieur Guizot ne produit guère d’idées. Il adopte facilement celles qu’on lui présente, et les déclare hautement et exclusivement siennes, même en présence de ceux qui viennent de les lui fournir, comme j’en ai été bien souvent témoin.

Le Roi avait beaucoup plus d’esprit, et en enfantait de toute nature. Monsieur Guizot se chargeait de les développer dans ce beau langage qui, en lui donnant une supériorité incontestable dans les assemblées, le rendait fort agréable au monarque.

Les autres ministres, plus sensés, quoique moins brillants et surtout moins outrecuidants, arrêtaient souvent les entreprises par trop hasardées. C’est ainsi que ce cabinet, qui devait fatalement amener la chute du trône, a pu durer quelques années.

Je me rappelle que, vers la fin de 1846, causant avec madame Adélaïde, je m’étonnais de la façon affectueuse dont elle s’exprimait sur monsieur Guizot, car j’avais longtemps combattu la répugnance excessive qu’il lui inspirait, et je le lui dis :

« C’est vrai, ma chère, je suis changée pour lui. Ce n’est pas que sa morgue ne me déplaise souvent ; mais il comprend si bien le Roi ! Personne n’y a autant réussi. »

La tendresse de madame Adélaïde pour ses frères, et surtout pour l’aîné, avait toujours été le grand intérêt et la seule passion de sa vie. Aussitôt qu’il eut épousé la princesse Amélie de Naples, elle prit place à leur foyer et ne l’a plus quitté. Ces trois personnes n’avaient qu’un esprit, qu’une âme ; et les deux princesses étaient exclusivement occupées à assurer le bonheur de celui qu’elles chérissaient par-dessus tout.

Toutefois, lorsque la mort de la duchesse douairière