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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

duc d’Orléans. Rendons au bon sens du pays la justice de dire qu’il l’a profondément sentie. La douleur publique est durable autant qu’elle a été vive.

Aucune perte ne pouvait être plus considérable pour la patrie que celle de ce brillant héritier de la Couronne, tout à la fois si jeune et si plein d’expérience, de ce fils si respectueux qui se montrait chef de famille vis-à-vis de ses frères et père éclairé pour ses enfants.

La clef de voûte a été violemment arrachée ; les échafaudages dont on s’efforce à la soutenir suffiront-ils ? C’est ce que l’avenir montrera ; mais il est gros d’événements rendus bien plus alarmants par la mort de monsieur le duc d’Orléans.

En retraçant mes souvenirs sur ce cruel incident, je suivrai ma méthode accoutumée de raconter ce que j’ai vu, ce que je crois, sans me mettre en peine de faire cadrer les faits les uns avec les autres, ni de les assimiler à ceux admis par l’opinion publique.

La vérité est pleine de disparates et, pour les éviter, il faudrait inventer.

On peut toutefois, sans employer cette ressource, parler très diversement de monsieur le duc d’Orléans, selon l’époque où l’on se place. Les années, les mois presque, lui avaient singulièrement profité. Les esprits forts distingués sont seuls susceptibles de s’améliorer ainsi par l’expérience. Elle était fort utilement exploitée par ce prince, et, lors de la funeste catastrophe dont je vais parler, il était véritablement accompli.

Les mercredi 13 juillet 1842, je me trouvais à la campagne, chez moi, entourée de quelques amis, lorsqu’on me vint avertir que le secrétaire du chancelier (le baron Pasquier) demandait à me parler. Je prévis un malheur ; de tristes précédents m’épouvantèrent.

Le bras d’un assassin, levé sur le Roi, se présenta