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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

et on finit par suivre, sans le remarquer, le courant entraînant sans cesse vers une nouvelle cataracte. On ne l’aperçoit que lorsqu’on y est tombé.

Alors, toutes les forces vitales du pays viennent en aide à la société pour qu’elle ne soit pas entièrement engloutie. Les convulsions durent plus ou moins longtemps ; puis on finit par rentrer dans une nappe plus calme, pour recommencer le même drame.

Toutefois, le niveau va toujours en s’abaissant ; les eaux sont de moins en moins limpides, la vie de plus en plus matérielle et les aspirations presque exclusivement sordides.

En sapant l’influence des idées religieuses, le dix-huitième siècle l’avait remplacée par le mobile de l’honneur. Forfaire à l’honneur était également l’effroi de toutes les classes, depuis le paysan jusqu’au maréchal de France, et la société en faisait sévère justice par l’opinion publique.

Aujourd’hui, il n’y a plus ni société, ni opinion publique, et l’honneur comme la foi sont devenus des mots vides de sens. Ils sont remplacés par les jouissances et le profit. L’honneur ne s’est plus réfugié que dans l’armée et seulement sous le drapeau.

Nos soldats sont la partie la plus honnête et la plus respectable de la nation, la seule qui agisse dans un but un peu élevé. Mais, là aussi, cette disposition tend à s’affaiblir ou, du moins, à ne s’exercer exclusivement que sur ce qui tient à la vie et aux devoirs militaires.

Qu’arrivera-t-il de toutes ces catastrophes se succédant à des temps plus ou moins rapprochés mais bien courts dans la vie des nations ?

Finira-t-on par trouver un niveau où plus de bien-être matériel, accordé aux masses, suppléera aux distinctions intellectuelles recherchées jusqu’ici, ou bien passera-