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MORT DU DUC D’ORLÉANS

le trésor qui lui restait de tant de biens perdus, en lui expliquant que le chez lui de papa était désormais dans le ciel.

Mais tout cela n’était encore rien. Le matin même, les deux petits cousins, le comte de Paris et le prince Philippe de Wurtemberg, jouaient ensemble à un bout de ce triste salon où toute la famille était réunie.

Le prince Philippe s’en vint droit à la Reine : « N’est-ce pas, bonne maman, que Paris n’a plus de papa, et que moi je n’ai plus de maman ? »

À cette question naïve de la cruelle indifférence du jeune âge, la Reine resta muette. Monsieur le prince de Joinville enleva le petit Philippe dans ses bras et l’éloigna. Chacun se dispersa pour aller cacher son trouble.

Madame Adélaïde était encore sous l’impression de cette interpellation lorsqu’elle me la raconta. La Reine ne m’en avait pas parlé.

C’était un épisode inaperçu dans sa douleur continuelle. Une bien plus pénible se méditait. La Reine annonça la résolution de visiter les caveaux de Dreux. Toutes les princesses la voulurent accompagner et accomplir ce douloureux pèlerinage.

Le départ pour Eu (que la santé de madame la duchesse d’Orléans et l’indisposition d’un des enfants firent ensuite retarder) ayant été fixé au soir du lundi qui suivit le pieux voyage à Dreux, j’allai prendre congé ce matin-là même.

Je restai confondue de voir le changement survenu dans l’état de la Reine. Elle s’était redressée, ses vêtements se trouvaient strictement épinglés, aucun laisser-aller ne se remarquait plus dans son maintien solennel et froid. Au lieu de m’admettre dans sa chambre, elle me reçut dans son salon.

Rien autour d’elle ne rappelait l’anéantissement où