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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

verture de la session, était uniquement de lui. Il en avait montré la minute, écrite de sa main, au chancelier, dès le lendemain du jour où la convocation des Chambres avait été décidée, c’est-à-dire le 16.

Le ton dont il le débita, sa voix émue, son attitude, celle de ses fils, le prodigieux changement de monsieur le duc de Nemours surtout, produisirent un grand effet et beaucoup de sympathie dans l’assemblée, et les voitures, qui reconduisirent à Neuilly tant de cœurs brisés, furent saluées de marques de respect trop souvent refusées à leur prospérité.

Citons ici une bizarre anomalie de la douleur. Ces mêmes personnes qui vivaient, pour ainsi dire, sous le drap mortuaire du catafalque, qui achetaient la cahute où le prince était mort pour y élever un monument, qui avaient eu un moment la pensée de faire reconstruire la petite maison, pierre pour pierre, dans leur jardin, qui ne voulaient d’autre son dans leur demeure que les prières des morts, ces mêmes personnes, par leurs propres ordres, donnés soigneusement et directement par le Roi, allongèrent leur route d’un tiers, en se rendant à Paris, afin d’éviter la chaussée de la porte Maillot qui passait à plus de cinq cents pas du lieu où la catastrophe s’était accomplie. Tant il est vrai que nul ne peut calculer d’avance les diverses répugnances d’une immense douleur.

Rappelant les expressions du discours du Roi, un homme de mes amis disait, le lendemain, à monsieur le duc d’Aumale que l’aspect de ces quatre princes, entourant encore le trône, avait été d’un bon effet.

« Hélas, répondit-il, avec ce jugement précoce qui le distingue, hélas, il est vrai, nous sommes quatre, mais nous n’étions qu’un. Aucun de nous n’avait une pensée individuelle. Nous travaillions tous pour Chartres. Nous