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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

tion de la Reine, prononcés d’un ton de voix parfaitement simple, me firent frissonner.

Ce jour-là encore, je ne pus voir madame Adélaïde. Elle aussi s’était rendue chez le Roi à la levée du conseil, et, comme mes rapports avec les autres princesses ne m’autorisaient pas à me présenter chez elles, je repris le chemin de Châtenay.

Respectant la défense de la Reine, je ne retournai point à Neuilly ; mais, pensant bien qu’elle accompagnerait le Roi à Paris le jour de l’ouverture des Chambres, je me présentai aux Tuileries. À peine le canon annonçait le départ pour la cérémonie, j’entrai au palais.

Je ne voulais que m’informer en détail, aux gens de l’intérieur, de la santé de la Reine ; mais toutes les portes étaient ouvertes, et je l’aperçus elle-même, allant et venant dans son appartement, uniquement occupée à la recherche d’un portefeuille que je compris, à des explications données à ceux qui l’assistaient dans ce soin, devoir contenir des dessins faits par monsieur le duc d’Orléans, dans sa petite enfance.

« Non, disait-elle, ce bleu est le portefeuille de Joinville ; celui de Chartres est couvert en rouge. »

Je m’esquivai sans être aperçue d’elle, mais bien frappée de cette préoccupation exclusive qui l’absorbait, d’un intérêt si minime dans une circonstance où, les autres années, elle tremblait constamment pour la sûreté du Roi et où, ce jour-là, il subissait, en outre, une si rude épreuve.

Je trouvai madame Adélaïde, en revanche, dans un état de douleur, de prostration de forces, d’anxiété impossible à décrire : « Ne me jugez pas sur aujourd’hui, ma chère madame de Boigne, me disait-elle, j’ai plus de courage que cela ordinairement… » Chaque bruit la faisait frissonner.