Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome V 1923.djvu/276

Cette page a été validée par deux contributeurs.
273
CORRESPONDANCE

donner de raison, si ce n’est que j’avais de l’humeur comme un dogue et que la tristesse du jour, la pluie qui tombait par torrents, la solitude de ma triste habitation m’avaient donné un redoublement de spleen que je n’avais pas encore le courage de shake off, mais, vers le soir, votre lettre est arrivée. Cela m’a fait plaisir ; j’ai secoué mes oreilles, et je me suis demandée si le bon Dieu m’avait créée et mise au monde pour mes aises avoir. Je me suis bientôt convaincue que, si cela avait été son intention, il en avait changé depuis quelque temps, et je me suis déterminée à faire contre fortune bon cœur, et à chercher en moi de quoi résister à la mélancolie où j’étais prête à tomber. Quant à m’ennuyer, j’en demande bien pardon à papa, mais je m’ennuie à la mort. Si je pense, j’en jetterai le germe, mais, en attendant, je m’ennuierai le moins tristement que je pourrai. « Allant pour aller, il importe peu où vous êtes, pourvu que vous vous amusiez ». C’est bien mon avis, mais le « pourvu » n’existe pas. — Comment avez-vous trouvé ma description du château du duc de Richmond ? Elle était animée et variée comme ma vie. — Les sujets qui peuvent fournir matière à notre correspondance me sont bientôt trouvés ; ma tendresse, ta tendresse, notre tendresse, et puis recommencer, sans craindre, il est vrai, de nous ennuyer mutuellement. — Je vous ai déjà dit et redit, cher papa, chère maman, que je ne comptais pas me baigner. Ainsi toutes vos précautions sont inutiles. — Je prétends que le général est charmé de notre éloignement de la mer, prétexte pour ne pas prendre de bains : dans le fait, je crois qu’il s’en soucie médiocrement. — Qu’est-ce que cette opération que s’est fait faire maman ? Je vous jure que c’est un secret pour moi. Vous dire que je suis au désespoir de la solitude où mon absence la laisse ne vous apprendrait, je crois, rien de