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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

récentes ; cependant elles ne me rassurent point sur l’état de maman. Tout le monde me dit que je n’ai pas le sens commun ; mais, il me semble que mon inquiétude n’est que trop légitime. Malheureusement, je pars samedi et pour m’éloigner encore de ce lit de douleur vers lequel tous mes vœux me rappellent. J’espère que monsieur de Boigne, après avoir vu ses sœurs, me ramènera près de vous. Je m’en flatte, je l’avoue, et je ne saurais trop dire pourquoi ; car je ne crois pas que l’infernale Martinville croie encore son ouvrage assez avancé. Enfin, il n’y a point de ressources ; contre sa volonté rien ne fait loi. Au surplus, elle aurait pu faire une autre histoire sur la maladie de maman que de dire qu’elle était un simulacre, car c’est la même que celle du mois de juin de l’année dernière, et, pour une scélérate d’esprit, je lui croyais plus d’imagination. Au reste, laissons-la, elle et ses caquets. Je la méprise trop profondément pour m’occuper d’elle le moins du monde. — Ma pauvre maman, vous espériez donc que votre Adèle vous arriverait avec les premières lettres ? Hélas, vous rendiez bien justice à mon cœur : s’il dirigeait seul mes actions, il y a bien longtemps que je serais à vos pieds. Une des choses qui me chagrinent le plus c’est de ne pouvoir pas vous dire, de ne pouvoir pas me dire à moi-même ce que je dois devenir dans quinze jours. Vous me demandez, chère maman, quand je serai dans vos bras. Hélas ! je l’ignore absolument. Tantôt je vois mon retour comme prochain, tantôt il me paraît plus éloigné que jamais. Je vous le demande en grâce, chers amis, que ma présence ne soit pas nécessaire à votre bonheur. Oubliez-moi ; votre chagrin ajouté au mien est plus que je ne puis supporter. Si je reviens, si jamais j’ai le bonheur de me retrouver dans les bras des respectables, des adorables parents qui ont formé mon cœur à l’image du leur, alors il faudra jouir d’un