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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

migraine affreuse qui ne me quitte pas depuis deux jours. Vous devez vous en apercevoir à la manière dont j’écris ; de plus, j’ai de l’humeur contre tout l’univers et surtout contre les éléments qui me privent de la seule consolation que je sois susceptible de recevoir.



Munich, lundi 24 mars.

À peine sortais-je de mon lit hier qu’on est venu me prier de céder pour la journée mon balcon à monsieur l’archiduc Charles. Vous pensez bien que je ne m’y suis pas refusée. Le prince n’est arrivé qu’à cinq heures. Fort peu honteuse d’une curiosité qui a tant de motifs pour l’excuser, je suis sortie de ma chambre et je me suis tenue sur l’escalier pour le voir. Papa, l’archiduc n’a pas l’air assez malade pour autoriser la route qu’il prend ; il est maigre et pâle, mais cela parait plutôt l’effet de sa complexion naturelle que de la maladie ; Quoique petit, il a l’air noble et distingué, enfin, peut-être est-ce l’aveuglement que m’inspirent ses grandes et belles qualités, mais son physique m’a paru mieux que je ne m’y attendais, surtout d’après les rapports qu’on fait de l’état de sa santé que je crois fort exagérés. Vous savez que j’adore les héros et surtout l’archiduc… le tambour bat, il part. Il avait été déjeuner chez l’Électeur et n’est revenu ici que pour monter en voiture. Ma petite chienne, attirée par l’odeur de la viande, est entrée chez lui hier ; il l’a mise sur ses genoux et l’a caressée, lui a donné à manger… Tout intéresse chez des grands hommes ! La voix de l’archiduc est singulièrement douce, même en parlant allemand. Vous allez croire, mes chers amis, que je raffole de l’archiduc, et c’est, ma foi, vrai.