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CORRESPONDANCE

vouloir expliquer et adoucir tout ce que je dis et, comme c’est encore pis, j’ai pris le parti de me taire. Vous ne vous doutez point que c’est ici l’endroit où j’ai pu le moins exprimer le chagrin que j’ai d’être éloignée des objets de ma vénération et de mon amour.


Samedi 22.

J’ai, aujourd’hui, toute la société à dîner, et je suis au désespoir, car je suis malade comme une bête. Monsieur de Boigne est très bien pour tout le monde ; il faut lui rendre justice ; aussi il réussit à merveille. Je ne doute pas qu’on vous en écrive des amours, et surtout que nous sommes très bien ensemble ; mais c’est toujours comme à l’ordinaire, et même un peu plus mal, car les scènes ont recommencé de plus belle : la seule différence c’est qu’elles m’affectent moins. Tout me contrarie ici : on a l’air de faire croire à monsieur de Boigne qu’il est le plus généreux des hommes parce qu’il ne vit pas comme un émigré ; on cherche à lui faire comprendre la manière de retrognoner sur tout. Enfin, il contrecarre tous mes plans. J’ai voulu chercher à les expliquer, mais on ne les comprend pas plus que mes sentiments ; d’ailleurs, depuis que je suis ici, je n’ai jamais eu plus d’une heure de conversation sans témoins et, comme il ne peut pas en résulter un grand avantage, je ne les recherche pas extrêmement : cela donnerait peut-être de l’humeur sans aucun fruit. Au surplus, témoignez de la reconnaissance pour les bontés qu’on a pour moi, car, véritablement, on est aussi bien qu’on peut être. Mais, ce n’est pas nous, ce nous que je ne retrouve nulle part, auquel j’ai l’insolence de m’associer et que j’embrasse tendrement sans en excepter le bon abbé. Adieu, mes chers amis. Je suis malade comme une bête, j’ai une