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CORRESPONDANCE

subito. — J’ai appris avec chagrin la mort de cette pauvre madame Adélaïde d’une fluxion de poitrine, à Trieste. « Les deux pauvres princesses » ai-je dit comme une bête. « Elles sont bien heureuses, bien heureuses », a repris Alexandrine ; et votre Adèle a compris que papa lui faisait ses grands yeux. — À Ratisbonne, j’ai vu la plus vilaine ville qui soit sous la face du ciel. Un jeune négociant m’a raconté que, dans cette ville impériale comme dans toutes celles de la même espèce, les habitants sont obligés de payer deux et demi pour cent du capital de leur fortune de quelque espèce qu’elle soit, fonds, terres, meubles et immeubles, qu’ils sont obligés de déclarer sous serment, c’est-à-dire que le commerçant qui a cent mille louis de principal est obligé (quelqu’ait été le succès de l’année) d’en payer deux mille cinq cents : au reste, ils sont à la merci de tous les princes qui les entourent et qui ne manquent jamais de les gréver quand la fantaisie leur en prend. Le passage des russes à Ratisbonne a coûté 60 000 florins aux habitants : c’est trop de payer des taxes aussi énormes sans jamais jouir même de la protection d’un gouvernement qui sait se faire respecter. — Adieu, mes chers, chers, mille fois chers amis. — Cette lettre ne partira que samedi ; je la finirai d’ici-là.


Vendredi 14.

J’ai dîné hier chez le bon oncle comme je vous le disais, et, entre nous, j’ai trouvé la journée un peu longue depuis une heure jusqu’à neuf. — La nouvelle qui occupe tout le monde est le rappel de l’armée de Condé : c’est affreux, dit l’un, épouvantable, désolant, consternant : enfin tout est ici dans la désolation et l’on croit tout perdu. Il me semble, cependant, que la retraite de quatre mille hommes n’est pas un événement bien