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CORRESPONDANCE

Cobourg, jeudi 6 mars.

Le printemps doit déjà poindre en Angleterre tandis que j’éprouve toutes les rigueurs de l’hiver qui, sans doute, ne cessera jamais, car il neige tous les jours et toute la journée. Vous trouverez peut-être, ma chère maman, que je vous parle beaucoup de la pluie et du beau temps, mais ces sujets trivials, en général, sont fort intéressants pour moi et, par conséquent, pour vous. — Le pays, depuis Gotha, d’où je vous écrivis à moitié endormie, est extrêmement pittoresque et fort riche, autant que je puis en juger dans cette saison : ce n’est plus les plaines et la misère des pays de Hanovre et de Brunswick ; la Saxe a un aspect tout différent ; des villages d’aussi bonne mine que ceux d’Angleterre, quoique d’une forme différente, sont semés de toute part. Le paysan a l’air riche et heureux ; tout est gras et content jusqu’aux chevaux de poste ; du reste, les femmes et les enfants sont charmants. Je ne sais aussi si je m’accoutume à leurs manières, mais ce pays-ci m’a l’air beaucoup moins sauvage que tous ceux que j’ai parcourus depuis trois mois. Quoique toujours, chez des saxons, nous avons changé de prince toutes les nuits depuis trois jours : à Gotha, à Meiningen et à Cobourg d’où je vous écris de chez un de mes héros favoris : il n’est pas forcé, au surplus, que, quelque amour de la gloire qu’on puisse avoir, on renonce à servir une cour qui ne sait pas ménager l’archiduc. Je ne peux pas vous dire à quel point je suis furieuse de cet excès d’ingratitude, quelque confiance que j’aie dans les talents du général Kray. On nous a baragouiné quelques choses des russes, de leur retour, de leur départ, de je ne sais quoi, car ces nouvelles se contredisent si constamment qu’on ne sait à qui croire. — Je