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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

suis accablée ; c’est la première fois de ma vie que ce jour se sera écoulé sans que j’aie été pressée sur le cœur paternel ! Il me paraît mille fois plus dur d’être séparée de vous en ce moment. Depuis huit jours, je me raisonne sur ce point, mais je ne réussis pas : tous les jours se ressemblent, me dis-je ; non, ils ne se ressemblent pas, non votre Adèle n’aura pas entendu prononcer ces mots si doux : God bless, my child, vous ne lui avez point dit qu’elle contribuait à votre bonheur, vous… mais à quoi sert de vous attrister aussi ? C’est une faiblesse que je me flatte que vous n’avez pas partagée ; quant à moi, c’est beaucoup plus fort que ma raison ; je me rappelle l’année que ce jour finit ; je tremble en l’envisageant : que de secousses, que d’événements malheureux, que de chagrins de tous les genres ! je ne peux pas dire, comme tant d’autres : « le passé ne fait rien ». Ah ! toute ma vie s’en ressentira ; je ne puis m’empêcher de remarquer par quelle fatalité (à dix-neuf ans) toutes les époques qui devraient être pour moi jours de fête sont jours de larmes. Rappelez-vous le 11 de juin de l’année dernière ; mais, non, ne vous rappelez rien de tout cela ; rappelez-vous bien plutôt, mes bons amis, que je vous aime de toute mon âme, que, de près comme de loin, nous sommes sans cesse occupés les uns des autres. C’est à genoux, mes adorés parents, que je reçois avec le respect, la tendresse, la vénération profonde que vous savez inspirer les bénédictions que je suis bien sûre que vous me prodiguez en ce jour. Ah ! je suis toujours certaine que nos cœurs se rencontrent.

J’ai écrit à l’évêque : il me parle, dans sa lettre, du projet qu’il semble avoir de rentrer en France avec sa respectable amie. — J’ai été ce matin chez la duchesse d’Havré comme un chien qu’on fesse. Je n’en suis pas fâchée ; cela m’a forcée à l’air de la distraction. On a beaucoup parlé de cette pauvre madame de Maillé ; ce sujet