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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

pourquoi m’avez-vous tant aimée, accoutumée depuis mon enfance à voir partager mes moindres chagrins ? Cet isolement affreux redouble mon désespoir ! « Elle était mieux, foi de papa ». Ah ! pardonne-moi, mon ami, si je doute de ce que tu me dis ; mais ce mieux a commencé le mardi, mardi jour du courrier ! Je ne puis m’empêcher de traduire cet elle est mieux, elle est mieux de l’abbé par je ne veux pas vous assommer tout d’un coup. De dix lettres qui me sont parvenues hier au soir, celle du quatorze est la dernière. Ah, mon excellente mère, quand reverrai-je cette écriture dont les derniers traits m’ont arraché tant de larmes ? Oh ! mon Dieu, quand cette cruelle incertitude finira-t-elle ? J’attends une lettre avec l’impatience la plus vive et, cependant, je la redoute.


Samedi, 1er février.

Je me croyais en état d’écrire l’autre jour ; mais j’ai été obligée de cesser parce que je me suis trouvée mal et Anne n’a pas voulu me rendre mon écritoire avant cette minute. J’ai le cœur déchiré ; je n’ose fixer mes regards d’aucun côté. Ce fire-side, objet de tous mes désirs ; de tous mes regrets, n’est maintenant pour moi qu’un objet d’effroi !… J’attends des lettres demain et peut-être monsieur de Boigne à qui mes gens ont écrit que je n’étais pas bien. Peut-être n’aurai-je pas de vos nouvelles d’Angleterre, peut-être… ah ! mon Dieu, mon Dieu, je suis bien occupée de cette pauvre duchesse, quel horrible événement ? et ma respectable amie, et cette chère aimée ! Juste ciel, que de malheurs, que de chagrins ; je ne sais encore si je rêve ou si je veille, depuis que j’ai reçu ces fatales lettres (tant désirées), mon existence paraît confuse ; je ne sais ce que je dis ni ce que je fais ; tout ce que je sais c’est que je vous aime