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CORRESPONDANCE

Mercredi 29.

Mon premier mouvement a été de pousser un grand cri, le second d’ouvrir la porte et de dire à John et à Richard (ils étaient dans la première chambre) et à mes femmes (elles étaient dans la mienne) : « Je vous prends tous à témoin de la manière dont monsieur de B. me traite. Remarquez mon costume et rappelez-vous que c’est pour cela qu’il m’a battue. ». Après avoir dit ce peu de mots qui ont beaucoup calmé l’emportement du patron, je suis rentrée dans ma chambre et Catherine est sortie de l’appartement ; elle est revenue peu de moments après. Monsieur de B. l’a suivie dans ma chambre où il espérait me trouver pleurant et me désespérant ; car il a eu l’air fort désappointé de me voir achevant tranquillement ma toilette. « J’espère, monsieur, que vous n’allez pas recommencer à me battre. » — « À vous, battre, non, non, madame : vous et votre complice (parlant d’Anne) aurez beau faire, vous ne parviendrez pas à persuader une telle fausseté. » — « Qu’appelez-vous une telle fausseté ? Demandez à Catherine qui n’est pas ma complice puisqu’elle rentre dans la chambre avec vous si c’est une fausseté. » — « Catherine (avec un air destiné à l’intimider), m’avez-vous vu frapper madame de B. ? » — « Je ne peux pas dire, monsieur, que j’ai vu le coup ; mais j’ai vu votre main sur le visage de madame et quand vous l’avez retirée. » — Cette distinction m’a fait sourire et a comblé la fureur de monsieur de B. Je ne lui ai fait aucun reproche ; mais j’avoue que j’étouffais. Une promenade sur le devant de la maison où j’ai laissé couler quelques larmes m’a fort soulagée et, pendant quatre jours entiers, il ne s’est pas dit un mot entre nous, quoique nous fussions toujours ensemble. Cependant, j’ai remarqué que monsieur de B. se réjouissait de m’avoir