Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome V 1923.djvu/211

Cette page a été validée par deux contributeurs.
208
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

repris la louable habitude de me dire des injures, non pas à l’heure mais à la journée ; mais, comme cela m’est maintenant fort égal, je ne l’écoutais pas et il se fatiguait la poitrine inutilement. Arrivés à Snoghoy, au bord du petit Belt en Jutland, nous y avons été retenus deux jours, comme je vous l’ai mandé d’Odense. Enfin, il a été décidé que nous partirions à huit heures le lundi 13 pour nous rendre à Odense (qui est à trente-six milles de Middeljart) le même jour. Pendant toute la nuit, monsieur de B. n’a cessé de m’accabler d’outrages qu’il serait inutile et fastidieux de répéter ; il m’a beaucoup pressée de me lever le matin : en effet, je me suis dépêchée de m’habiller et, afin de perdre moins de temps, ayant passé mon gilet et le cotillon de mon habit, j’ai envoyé Catherine chercher John pour démonter mon lit ; il est arrivé pendant que je mettais ma cravate ; j’étais entièrement prête à partir, à l’exception de mon habit qu’une de mes femmes tenait, pour m’aider à le mettre. Entrez, ai-je dit à John qui était dans la chambre où monsieur de B. s’habillait. À peine se disposait-il à m’obéir que l’autre, se précipitant comme un furieux dans la chambre, m’a crié : « Madame, si vous n’avez aucune décence, j’en aurai pour vous et si vous, suivant vos principes français, aimez à paraître nue devant vos gens, cela ne me convient pas. Sortez ». Cette dernière parole, accompagnée d’un geste fort énergique, s’adressait à John ou plutôt à son épaule. « Monsieur, comme les gens qui vous entendront pourront croire que les grossièretés de vos propos sont méritées, il est juste que je leur prouve le contraire. Je veux que tout le monde soit juge de la nudité dont vous vous plaignez. » En disant ces mots, je me suis avancée vers la porte que l’on m’a fermée au nez en me donnant deux coups de poing, un à l’épaule et l’autre à la figure. Adieu, chère maman, je suis fatiguée. La suite à demain.