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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

tané des propriétaires de salles publiques, dans toute la France, de souffrir chez eux les banquets préparés à l’occasion de fêter la Saint-Henri, le 15 juillet, dans la crainte de soulever les manifestations hostiles de la population contre eux, servirent d’avertissement aussi bien que le deuil général dont Paris s’enveloppa. Il fut porté spontanément, et par toutes les classes.

Mais, si les légitimistes crurent prudent de montrer une joie moins expansive, leur satisfaction intérieure ne se dissimulait guère. Je vis arriver à Châtenay la duchesse de Maillé, parée et pimpante plus qu’elle ne l’avait jamais été. Elle venait récolter près de moi les détails dont elle me pensait instruite, sachant que j’avais été la veille à Neuilly.

Je compris sur-le-champ le but de sa visite, et me promis de n’y point satisfaire. Je me jetai dans tous les lieux communs les plus insignifiants ; mais elle prétendait ne pas avoir fait une aussi longue route pour ne rien rapporter à son monde.

Elle m’assura s’être fort préoccupée de moi depuis deux jours. — Elle était bien bonne… Ne trouvait-elle pas mes gazons très jaunis par le soleil ? Son jardin de Paris subissait-il le même sort ?

Ne voulant pas, décidément, avoir le démenti de sa démarche sur la question principale, elle se pencha à mon oreille et me dit à demi-voix, sans autre préambule :

« On assure la pauvre mère devenue folle, cela est-il vrai ! »

Je répondis le plus indifféremment qu’il me fut possible :

« Je ne le sais pas, mais cela me paraît très probable.

— Ah ! je vous assure, chère cousine, que personne n’y porte d’esprit de parti. Tout le monde la plaint.