Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome V 1923.djvu/203

Cette page a été validée par deux contributeurs.
200
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

me paraissent combinées contre moi. Cela m’étonne d’autant moins que je m’en rapporte à mon étoile de me susciter sans cesse de nouveaux contre-temps ; celui qui me retiendra quelques semaines à Nyborg n’est pas un des moins fâcheux pour moi puisqu’indépendamment du désagrément de passer ce temps dans une mauvaise auberge, et absolument seule, cela m’éloigne encore du but où tend tout mon espoir et je ne puis regarder mon séjour ici que comme un temps perdu. — Ce qui me désespère aussi est l’impossibilité d’avoir de vos nouvelles, messieurs Beremberg et Gossler devant envoyer à Copenhague toutes les lettres qu’ils recevront pour moi, et l’instabilité de notre séjour ici m’empêchant d’écrire ni à Hambourg ni à Copenhague qu’on me les fasse parvenir, car il n’y a point d’autre empêchement, la malle allant régulièrement à Korsör mais dans des bateaux à patins. Voici la manière dont on voyage dans ces esquifs qui sont extrêmement petits : on attache le patient avec le bateau ; après quoi, deux hommes le poussent devant eux sur la glace jusqu’à ce qu’il flotte, alors, les bateliers s’élancent dedans au risque de le faire chavirer, ce qui arrive souvent ; ils vont à rame jusqu’à ce qu’ils rencontrent un autre glaçon sur lequel ils s’élancent et hissent le bateau qu’ils recommencent à pousser. Ce petit manège se répète tous les quarts d’heure à peu près ; car, excepté le premier glaçon qui s’étend à un mille allemand (six milles anglais) en mer, les autres ne sont pas fort grands. J’avoue que, ne trouvant pas un grand mérite à me noyer dans le Belt, je ne suis pas fort empressée d’éprouver ce genre de navigation et que je suis assez d’avis d’attendre ici la gelée ou le dégel : indépendamment du danger, c’est une corvée pénible, attendu qu’à chaque fois que le bateau saute de la glace dans l’eau, le malheureux voyageur est