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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

que lui ; mais je ne fais que rire de ses doléances en l’assurant que je savais parfaitement tout ce à quoi je m’exposais en consentant à ce voyage, que je le lui ai représenté, qu’il n’en a tenu compte, que je me suis soumise à son caprice et que, maintenant qu’il n’est plus question que de supporter des désagréments, je me croirais bien faible de me plaindre après les sacrifices d’un genre si pénible que j’ai faits. Je me flatte cependant que nous ne serons pas retenus bien longtemps pour passer les Belts. Demain matin, nous partirons, j’espère, à huit heures au plus tard et je ne me flatte pas d’être à Schleswig avant huit ou neuf heures du soir. — Je ne vous parle pas du pays que je traverse ; vous connaissez la neige et je n’ai vu que cela, mais, autant que je puis en juger au travers de cette couverture blanche, il me paraît plat et je crois que, même en été, il doit être fort laid. Les habitants paraissent excessivement reculés : nos voitures sont pour eux un objet d’étonnement plutôt que d’admiration car ils paraissent incapables d’un sentiment qui supposerait un genre d’émulation ; ils sont fort bien quatorze ou quinze occupés à atteler quatre chevaux et cette opération dure au moins une heure et demie ; s’ils veulent faire reculer une voiture de quatre pas, ils détellent froidement les chevaux les attachent derrière et tirent la voiture à reculons, etc… enfin il faut quatre allemands et quatre heures pour faire autant qu’un anglais en une heure. Le paysan, ici, est soumis à la corvée, au moins pour débarrasser les chemins après la neige. J’ignore s’ils sont contraints à d’autres travaux, mais, assurément, ils n’exécutent pas celui-là avec soin. — Adieu, mes chers amis ; je vais tâcher d’avaler un peu des cochonneries qu’on nous sert et puis chercher du repos dans mon petit lit qui est mon seul comfort et hors duquel je n’ai pas couché depuis mon arrivée à Cuxhaven ; vous savez que je