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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

dresser les cheveux sur la tête ; par exemple, elle m’a assuré qu’elle avait beaucoup à se plaindre de sa tante parce que, dit-elle, « si je n’étais pas catholique, j’aurais pu faire de bien meilleurs mariages et un, entre autres, que je regrette tous les jours davantage » ; quel speech ! J’espère que c’est légèreté car je serais fâchée qu’une aussi jeune personne fût aussi corrompue que ce propos pourrait le faire supposer. J’ai été bien aise de m’en débarrasser, car elle me faisait tant d’amours que j’étais dégoûtée, et j’aurais voulu pouvoir les rendre à ma voiture à laquelle ils étaient véritablement adressés. Mais, c’est assez parlé d’Altona. — Je ne peux pas vous dire que votre lettre du 6 décembre m’a fait bien plaisir parce que j’en espérais d’une date plus fraîche, mais c’est quelque chose de savoir que vous étiez bien alors. — Nous avons fait la route d’Altona à Itzéhoé en deux jours. Ne croyez pas, cher papa, que ce fait soit une expression impropre ; c’est un fait. Partis samedi par la neige, il a fallu nous faire accompagner par une douzaine d’hommes armés de pioches. Ce n’est pas que trois ou quatre cents personnes n’eussent fait le chemin dans la nuit, mais le vent qui soufflait détruisait leur ouvrage à chaque instant, et nous avons plusieurs fois enfoncé jusqu’à l’essieu. Tant bien que mal, nous sommes arrivés ici à onze heures du soir, hier, et nous passons toute la journée dans l’espoir que la gelée durcira la neige et que d’autres voyageurs nous rendront le service que nous avons rendu hier, en frayant et en découvrant la route, ce qui n’est pas facile, je vous assure. Je ne cherche pas à vous donner une idée du froid qu’il fait : le thermomètre est de quatre degrés plus froid qu’il ne l’a été l’hiver dernier à Londres. Je souffre beaucoup des yeux ; c’est à peine si je peux y voir pour écrire.

Je vous le répète, mes chers amis, tant que je le