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CORRESPONDANCE

plus, peu importe et je passerai comme on voudra. Je suis horriblement souffrante, mais toutes les espérances dont je vous parlais dans ma lettre se sont envolées depuis hier au soir ; je ne m’en porte pas mieux pour cela. La neige m’a fait tant de mal aux yeux que j’ai été obligée de m’interrompre dix fois pour écrire cette page.


Lundi 30.

Je me suis arrêtée hier ; je n’en pouvais plus. La nouvelle que je venais d’apprendre m’avait accablée, et ce n’est qu’un torrent de larmes qui m’apporta le moindre soulagement. Plus on est malheureuse, plus on est sensible aux disappointments de cette espèce. Mais, à quoi bon écrire, me disais-je hier ; peut-être seront-ils trois mois sans entendre parler de leur enfant chéri, et tout ce que je leur dirai sera oublié avant qu’ils puissent le recevoir. Mais, chère maman, quoique ces réflexions nuisent sans doute à l’espoir que j’avais de vous voir suivre et juger les démarches de votre Adèle, cependant ce m’est une consolation de voir que vous serez obligée d’avouer que tout mon être est à vous, que je ne respire que pour vous, que, si je respire encore, ce n’est que pour vous, que si, enfin, je cherche à plaire aux gens qui m’entourent, ce n’est que dans l’espoir qu’il reviendra à papa que son ouvrage est digne de lui et que vous m’en aimerez encore davantage. Ah ! oui, ma bonne maman, je suis insatiable. Si je plais, je me dis : « papa jouirait de ce petit succès » et cette idée me rend mille fois plus prévenante. En vérité, je ne saurais exprimer ce que j’éprouve pour vous ; il faudrait décrire chacun de mes sentiments, chacune de mes idées, puisque tous et toutes se rapportent à vous, mes guides adorés, que je regrette à chaque instant de ma vie. Je ne trouve un