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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Le boutiquier de Paris lui savait gré de ses dépenses bien entendues, l’artiste de ses encouragements et de ses munificences, l’industriel de sa protection éclairée, et tout le monde de sa bonne grâce et de son désir de plaire.

Mais, où il était surtout adoré, c’était à l’armée ; aussi n’y épargnait-il aucun soin. Déférent avec les chefs, obligeant avec les officiers, blagueur, s’il est permis d’employer cette expression, avec les caporaux, protecteur avec le soldat, camarade avec tous au feu du bivouac comme à celui de l’ennemi, ne réclamant la première place que là où était le péril, il avait établi son influence sur les troupes de façon à en être idole et à s’en faire partout obéir avec élan et confiance.

On ne peut se dissimuler que ses idées ne fussent portées vers la guerre. Il professait spéculativement qu’elle était nécessaire à l’affermissement d’une nouvelle dynastie, et ses goûts belliqueux, joints à une capacité peu ordinaire pour l’art militaire et à une assez grande irritation contre les souverains de l’Europe dont il croyait avoir personnellement à se plaindre, à l’occasion des obstacles suscités par eux à son mariage et à celui des princesses ses sœurs, le disposaient constamment à la désirer.

Sans doute, son avènement au trône lui aurait inspiré d’autres dispositions. Déjà, les années, les réflexions, la paternité, le bonheur intérieur dont il jouissait l’avaient fort modifié, et le bouillant duc d’Orléans se serait montré, suivant toutes les probabilités, un roi aussi sage que son père, s’il lui avait succédé.

En attendant, le pays lui pardonnait volontiers ce trop de sève qui débordait parfois au delà de la prudence, et l’armée lui en tenait compte comme d’une vertu. En un mot, sa popularité dans toutes les classes était