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CORRESPONDANCE

Lundi.

Il serait difficile de vous expliquer à quel point, la journée d’hier m’a été désagréable. Lady Webb et une honorable mistress Curzon (belle-fille de lord Scarsdale et dont je ne peux pas mieux vous comparer le ton qu’à mistress Devaines) ont eu une véritable querelle ; les deux maris ivres ont pris parti pour leurs femmes, enfin le vacarme n’a fini que par la retraite précipitée de monsieur et madame Curzon. À cette scène a succédé une péroraison de monsieur D. qui, pendant les deux heures d’horloge qui se sont écoulées jusqu’à neuf (heure à laquelle j’avais demandé ma voiture), n’a cessé de nous expliquer de la manière la moins recherchée les torts dont il croit devoir se plaindre : je ne peux pas vous dire combien j’ai été choquée de voir tout le monde le presser de questions et de plaisanteries ; il est affreux de voir déshonorer à tout jamais une femme qui ne l’a peut être pas mérité par les propos d’un fou et de deux jeunes étourdis qui, par parenthèse, me paraissent bien mal ensemble. Si je trouvais mauvais qu’on plaisantât du bonnet ou de la robe de madame ou mademoiselle Untel, sans doute ce serait ridicule, mais ne trouvez-vous pas, cher papa, qu’il est bien mal d’attaquer la réputation d’une femme, surtout quand le public la ménage, ce qui n’arrive guère quand elle a des torts ? J’avoue qu’hier au soir, dût mon visage sérieux paraître pédant, je n’ai pas pu partager la gaîté publique. — Sir Thomas, lady Webb, monsieur Clifford et monsieur Dillon, dînent chez moi aujourd’hui. Je suis très contente du plan que j’ai adopté ; sans cela nous courions grand risque de rester ici fort longtemps. Je ne crois pas cependant que nous partions jeudi : la neige qui tombe à flocons nous en empêchera pendant quelques jours. Au surplus, je ne