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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

qui me déplaît surtout, c’est que je sens que, si je m’y laissais aller, je deviendrais sauvage. Le peu d’habitude que j’ai de voir du monde me rend d’une maussaderie et d’une gaucherie vis-à-vis des étrangers que je ne peux pas vaincre. Monsieur de Boigne a eu soin de dire à madame de Vaudémont qui faisait l’éloge de madame Cockburn que ces dames étaient rivales et qu’il n’avait pas pu décider madame de B. à aller chez madame C… J’ai eu presque envie de le faire mentir, mais je n’ai pas pu me décider à porter mon triste visage au milieu d’une noce et à le rapprocher de celui de la jolie mariée auquel il a été si souvent comparé. Voilà, je le crains, le vrai punctilio qui m’empêche de faire la première visite. Je ne suis pas décidée à sacrifier l’amour-propre au tort que me ferait une pareille accusation d’impolitesse et, si je veux que la politesse l’emporte, il faut que j’évite soigneusement tous les miroirs, car, jamais je n’ai été aussi laide ; au surplus, je prendrai conseil de mon oreiller. — Ah, chère maman, que vous me manquez ! Je ne suis plus moi, sans vous. J’ignore comment il s’est fait que vous étiez tellement identifiée à moi que je ne m’aperçois que par la disette où je suis de la nécessité dont me sont vos conseils.


Lundi.

Je suis en bien meilleur spirit aujourd’hui, chère maman, parce que le jour de notre départ est fixé pour jeudi 26. Cette bonne nouvelle m’a mis le cœur au ventre ; ce long séjour à Altona commençait à me paraître plus suspect que je n’osais même vous l’exprimer et je cherchais en vain à découvrir le motif qui nous retenait ici. Le sort en est jeté ; j’ai écrit ce matin un billet excessivement poli à madame de Viguier, en lui