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CORRESPONDANCE

apportée en triomphe chez madame de Vaudreuil, quoiqu’elle ne dût servir qu’à établir ma victoire. Ce petit succès, le seul que j’aie eu depuis six mois, m’a presque tourné la tête ; je vois que l’habitude est nécessaire en tout. Je vous dirai en confidence que mademoiselle Guenêt a un beaucoup moins grand talent que je ne croyais ; elle a certainement un bel organe, mais ses passages sont mal choisis et mal exécutés : je suis d’autant plus fâchée d’avoir à rabattre de l’éloge que je vous en avais fait que je vous ai dit que je l’ai battue. — La lettre 43me des petits Émigrés n’a pas été négligée ; nos cœurs sont toujours à l’unisson, cher papa ; elle m’a fait répandre bien des larmes ; cependant j’aime mieux mon air d’Œdipe. Quant à l’ouvrage, il me semble que votre critique est bien indulgente. Si c’est un roman, pourquoi ne pas m’intéresser par l’histoire ? Pourquoi amener cette quantité de personnages auxquels on ne peut s’intéresser ? À la place de lady Edward Fitzgerald, je serais bien choquée de voir annoncer au public que je suis cette maussade Olympe qui joue un si plat rôle et ce sot lord Selby avec son amour romanesque. Il n’y a de tolérable dans tout cela que monsieur et madame d’Armaillé, car je n’aime pas les enfants de douze ans qui raisonnent comme des hommes de quarante et qui deviennent amoureux d’un portrait quand ils n’ont pas le bonheur de l’être depuis l’âge de cinq ans. Et puis tous ces changements de nom ! Madame de G. a l’air de jouer à la toilette de Madame ; assurément, elle a bien raison de dire à ses petits enfants que ce livre n’est pas à leur portée ; il n’est pas à la mienne toujours. Je ne comprends pas, je l’avoue, le mérite de toutes ces fautes d’orthographe qu’elle fait imprimer avec tant de soin ; c’est d’une petitesse qui ne répond pas à la philosophie sublime de l’auteur. Comment ose-t-elle se vanter au