Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome V 1923.djvu/166

Cette page a été validée par deux contributeurs.
163
CORRESPONDANCE

il fallait l’accabler ». Comme je connais l’auteur, elles ne m’accablent pas beaucoup, et je défie la cabale infernale et tous ses entours, à laquelle mon modérantisme donne bien du fil à retordre. D’ailleurs, je commence à espérer qu’un jour ou l’autre la vertu l’emportera sur le vice et que le dénouement sera pour nous. Ainsi, chère, maman, prenez courage et ne craignez rien pour moi qui suis devenue, quoique assez maussade, une beaucoup plus puissante dame qu’à Portland place. Ce n’est pas qu’on ne morde son frein, mais on a besoin de ses « bonnes » pour pouvoir le rompre ; au reste, comme je ne veux pas en profiter, je ne fais pas semblant de m’apercevoir de ce changement.

Quant à toi, cher papa, il faut que je t’avoue que ta figure de rhétorique m’a paru médiocre et qu’il me semble qu’il valait mieux me dire : « Mon enfant, tu écris comme une cuisinière, et, à 14 ans, tu ne faisais pas une faute »… que de m’envoyer une grande page toute pleine d’allégories (peu ingénieuses) sur la petite fille, son amie, la tienne, etc… Ce n’est pas que je ne te sache bon gré d’avoir doré la pilule, car, à dire le vrai, l’idée que j’ai quatre fois plus d’esprit qu’il n’en faut pour me corriger est toute propre à me faire mettre du cœur à l’ouvrage, et je vous assure que je n’ai pas eu de peine à trouver un moment favorable pour prêcher la petite personne : elle m’a paru disposée à recevoir en tout temps les leçons qui viennent de ce quartier. J’allais presque suivre vos allusions, mais les lettres de monsieur de Moustiers sur la mythologie, m’ont gâté le goût : je ne puis pas admirer la finesse de vos allégories… Plaisanterie à part, je viens de relire ce charmant ouvrage avec grand plaisir, mais, que vous dirai-je de Gil Blas ? Je ne l’avais jamais compris. Il n’y a pas une page qui ne contienne les remarques les plus fines, les plus