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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

mardi 3

La lettre du 26 que je viens de recevoir m’a rassurée un peu sur votre état, mon excellente maman ; c’est le premier sentiment de joie que j’aie éprouvé en arrivant sur cette terre que j’abhorre. — Oui, ma chère maman, Rainulphe a raison ; je me joins à lui et je le prie de m’associer toujours à ses prières, cher enfant ! — L’histoire que je vous ai contée de ce malheureux jeune Grey, tout ce qu’il souffrait, m’est resté là. Pendant plusieurs jours, il me semblait toujours voir notre enfant en pareil cas ; je ne saurais vous dire combien j’en ai eu l’esprit frappé ! tant il est vrai que des dispositions internes dépendent la manière de voir les choses ; dans un autre temps peut-être, à peine l’aurais-je remarqué. — Monsieur de B. — continue à chercher à être bien avec moi, quoique ce que je vous ai dit dans la première feuille lui donne beaucoup d’humeur, d’autant plus qu’il est forcé à supporter bien des choses qui, en Angleterre, n’auraient pas eu lieu. Du reste, au fond, nous sommes toujours à peu près de même, mal ensemble sans scène. — Il m’a dit hier que son intention avait été de m’attaquer en divorce sur le compte de W.-M., et qu’une femme de la société déguisée en femme du peuple l’avait fait venir trois fois chez le marchand de fromage qui demeure en face du no 11 dans Beaumont street, que, là, elle l’avait fait enivrer et lui avait fait dire devant cinq témoins des choses fort extra-ordinaires : monsieur denoB. possède, à ce qu’il dit, le détail de ce bizarre procédé. Si vous pouvez découvrir quelque chose là dessus, cela ne peut pas avoir d’inconvénients. — J’ai été hier à la Comédie ; on donnait Tartuffe ; quoique les acteurs soient détestables, cela m’a fort amusée ; que de finesse, que de grâce, quelles fines et bonnes plaisanteries ; je crois que j’y retournerai ce soir ;