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CORRESPONDANCE

Yarmouth, jeudi
[21 novembre].

Pardonnez-moi, ma bonne maman ; je suis inquiète et très inquiète du peu que vous écrivez. Je vois trop que, si cela vous était possible, vous aimeriez à causer avec votre Adèle, plus longuement. Je suis bien aise que ce crachement de sang ait cessé, mais cette fièvre dont vous parlez m’alarme beaucoup ; est-elle du même genre que celle que vous eûtes il y a deux ans ? vous m’en parlez bien légèrement et vous savez cependant que l’état de votre santé m’intéresse bien autrement que les non sense de société (que je suis, pourtant, charmée de savoir).

Je voudrais te bouder un peu, cher papa, car ta lettre de mardi me gronde bien fort, trop fort, en vérité, pour pauvre moi qui n’ai pas beaucoup de plaisir, que celui de recevoir vos lettres et qui m’y vois traitée comme un chien. Au vrai, papa, que voulez vous que je fasse ? Vous me recommandez de vous fournir des armes pour consoler maman, et vous êtes fâché que je ne vous parle pas de la situation de mon âme !… Je ne sais pas mentir, et à quoi bon vous montrer les blessures de ce misérable cœur que rien ne peut cicatriser, à quoi bon vous dire que je suis au désespoir, et que je m’y laisse aller, etc ?… Hélas, chers et excellents amis, je ne ferais qu’augmenter votre malheur sans diminuer le mien car je serais même privée de vos consolants reproches sur ma faiblesse puisque… je l’avoue, oui, mon cœur est brisé. Quelque horrible que ce voyage m’ait toujours paru, je n’en connaissais pas la moitié des inconvénients.

Fatigué de moi, fatigué de lui-même, il me fait supporter le poids de son ennui qui s’évapore en scènes, tantôt sur