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CORRESPONDANCE

laquais, dans laquelle je fourrage sans y rien comprendre, car elle est en caractères allemands que je ne déchiffre pas facilement. J’aimerais beaucoup à pouvoir baragouiner la langue du pays où je vais : c’est un grand agrément et j’en ai souvent senti la nécessité ici et en Italie ; je crois cependant qu’en parlant français l’Allemagne est le pays du monde où l’on a le moins besoin de savoir la langue du pays ; néanmoins, je compte ne rien épargner pour parvenir à m’expliquer en allemand ; ainsi, attendez-vous quand nous nous rejoindrons à m’entendre jaboter une langue de plus.

Qui est cet abbé de Chousi ? Son nom ne m’est pas inconnu ; est-ce un habitant de Londres, et son histoire se raconte-t-elle sérieusement ? J’imagine que tout le monde fait son paquet ; il me paraît pourtant que la portée de la nouvelle qui parlait du courrier envoyé à Louis xviii et de la détermination qu’avait prise Buonaparte de rétablir la monarchie s’est terriblement évaporée. Je ne doute pas que, samedi, votre recommandation de la mettre en quarantaine n’eûtété regardée comme un crime de lèse-émigration. J’avoue que je ne peux pas penser sans aigreur à nos vilaines femmes de Londres ; vous m’assurez, cher papa, que je ne les hais pas. Mais, pour madame de M…, elle m’inspire en entier ce vilain sentiment, comme vous l’appelez. J’en suis bien fâchée mais je ne suis pas meilleure que cela.

Le vent, comme vous voyez, ne change pas du tout. On dit que le packet sur lequel nous passons est très mauvais, c’est-à-dire pour la commodité, car on assure que c’est un excellent voilier. À la vérité, c’est le capitaine qui m’a dit cela et chacun doit naturellement faire valoir sa marchandise. — Encore un bâtiment de perdu : une frégate hollandaise avec deux cents cinquante hommes du 35e à bord ; dix-sept soldats et un officier se