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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

mal que me font mes yeux ne me permette pas d’en profiter beaucoup. Du reste, je me porte passablement bien quoique ma mine, assurément, ne prévienne pas en ma faveur.

Aujourd’hui, j’attends une lettre avec impatience ; elle m’apportera de nouveaux témoignages de sentiments si nécessaires à mon existence et qui, seuls, la rendent supportable. Vous l’avez exigé, chère maman ; oui, je travaillerai à ma conservation ; je ne crains rien pour elle ; mais je crains bien que les habitants de votre ville n’aient formé un plan contre ma réputation et vous savez que rien ne leur coûte pour parvenir à leur but. La confiance que vous avez eue en moi, soyez-en sûrs, mes adorés amis, ne sera pas démentie, mais je suis bien jeune et n’est-il pas possible que, malgré que le malheur m’ait donné une funeste expérience, l’on parvienne, en m’entourant de pièges, à donner à mes actions un vernis qu’elles ne mériteront pas ? Cette idée me fait frémir, mais cette crainte n’est-elle pas légitime quand mon protecteur naturel avoue lui-même qu’il désire ma perte ?…

Mais pourquoi accroître votre tristesse et vous faire partager celle qui dessèche mon cœur ? Ah ! non, tant qu’il battra, le respect, l’amour filial le rempliront tout entier. — Adieu, mes amis, soyez sûrs qu’en quelque lieu que la fortune me pousse il bat en unisson des vôtres. Adieu.


Yarmouth, ce mercredi 20.

Vous me recommandez de m’occuper, cher papa. Ma lettre d’hier vous aura répondu sur l’agréable manière dont je passe mon temps ; je me suis néanmoins approprié une vieille grammaire allemande appartenant à mon