Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome V 1923.djvu/150

Cette page a été validée par deux contributeurs.
147
CORRESPONDANCE

Yarmouth, mardi 19.

Encore à Yarmouth, ma chère maman, et à mon grand regret, car le séjour en est excessivement désagréable et, à tant faire que d’être éloignée de vous, j’aimerais mieux continuer une route qui, dit-on, doit m’en rapprocher. — Monsieur de B. s’est décidé à passer sur la Princesse Royale ; nous y serons bien moins commodément que sur le Dolphin, mais peu importe ; ce qui me déplaît beaucoup est que, probablement, je joindrai au mal de mer d’autres incommodités dont la peur m’avait déjà fait retarder ce cruel voyage, enfin… il est écrit que tout pour moi tournera le plus désagréablement possible. — On assure que ce vent d’est n’est pas du tout inclined to change ; ainsi, peut-être serons-nous retenus ici quinze jours de plus. Depuis mon arrivée à Yarmouth, je ne suis sortie qu’une fois pendant un quart d’heure ; j’ai été jusqu’à la jetée qui est en bois et fort laide. Le froid m’a forcée de rentrer et oncques depuis je n’ai mis le nez dehors. La chambre que nous habitons, quoique située sur le devant de la maison, est d’une tristesse affreuse parce qu’il y a un grand balcon qui règne tout de long de l’auberge et dont le parapet est beaucoup plus haut que moi, ce qui rend la chambre obscure et nous prive même de l’amusement de regarder par la fenêtre, ce qui, pour nous, serait une ressource, je vous assure, car la pluie et la crotte sont trop abondantes pour permettre la promenade. Vous pouvez juger d’après cela de la gaieté de notre situation que je tâche de supporter avec le moins d’ennui possible. Pour ajouter à mon plaisir, on a eu le soin, samedi soir, de porter tous mes livres à bord, de manière que je suis privée du seul amusement qui me reste, quoique l’extrême