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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

venue l’arracher à cette triste contemplation, en l’avertissant que la Reine le cherchait. C’est à son retour près d’elle que l’excessive altération de la figure du Roi frappa cette mère désolée et lui montra qu’il lui restait encore des malheurs à redouter.

Telle était la situation lorsque je me rendis le lendemain matin à Neuilly. La route se trouvait couverte d’une longue file de voitures et de gens à pied, tous en deuil spontané.

Les grilles extérieures étaient fermées, et la consigne si strictement gardée qu’on ne pouvait pénétrer, même dans les cours. Je réussis cependant à faire parvenir à la Reine un mot que j’écrivis dans la loge du suisse. Elle m’envoya son valet de chambre de confiance, le vieux Lapointe.

Elle était avec le Roi et ne voyait personne : « Sa Majesté m’a chargé de vous dire, madame la comtesse, que vous ne pourriez jamais la plaindre trop, parce qu’elle était la plus malheureuse femme qu’il y eût au monde. »

J’appris de lui les détails que je viens de donner sur ce qui se passait dans l’intérieur. Le premier, il me parla de ce cri déchirant jeté par l’amour maternel et dont plusieurs personnes depuis m’ont confirmé l’impression si profonde. Sa figure était baignée de larmes : « Notre pauvre Reine, me disait-il, ne se relèvera jamais ; c’était son favori. Elle aime bien tous ses enfants, mais celui-là par-dessus tous les autres. Ah ! madame la comtesse, c’était un si bon garçon ! ».

Cet éloge naïf, dans la bouche d’un vieux valet qui, comme il me le disait ensuite, lui avait appris à jouer à la toupie, ne me paraît pas indigne d’être compté à ce brillant duc d’Orléans dont les talents et les séductions ont eu tant de retentissement.