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CORRESPONDANCE

Sanmeendham, jeudi
[14 novembre].

Je ne vous ai pas écrit hier, chère maman, parce que nous nous sommes arrêtés à Coppoch, auberge isolée qui est à douze milles d’aucun post office. — J’ignore si nous arriverons ce soir à Yarmouth ; je ne le crois même pas, le manque de chevaux nous retenant ici pour Dieu sait combien de temps. J’ai été bien malade hier au soir, mais je suis mieux, quoique faible et souffrante. En me séparant de vous, on m’a porté un coup dont je serai bien longtemps à me remettre. Enfin… papa, tu as beau me prêcher la soumission et la résignation, jamais, non, jamais je ne m’accoutumerai à un si grand malheur. — Dans l’état où je suis, tant au physique qu’au moral, un beau paysage n’a aucun effet sur moi, mais il me semble que la campagne que j’ai traversée serait magnifique s’il y avait plus de feuilles et moins de brouillard. — La cruelle situation de notre pauvre amie m’occupe plus que je ne saurais dire. Je voudrais la savoir accablée de son malheur : le temps, dit-on, soulagerait peut-être sa douleur. — J’espère trouver de vos nouvelles à Yarmouth. Chère maman, du courage ; j’ai besoin de savoir que vous en avez. — La journée est triste, mais bien moins que mon cœur : il se brise quand je pense au temps qui s’écoulera avant que je vous embrasse tous. — Adieu, je vais tâcher d’avaler un bouillon. Aimez-moi toujours, mes excellents amis, et pensez que votre Adèle est toujours à vos genoux, adorant tant de vertus si mal récompensées.