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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE


L’année 1862 m’a été bien funeste. Elle m’a enlevé mon meilleur ami, le chancelier Pasquier, et, moins de trois mois après, mon frère unique, le marquis d’Osmond.

Cette double perte m’a laissée sans appui de cœur et d’esprit, et sans consolations. La faiblesse de ma santé ne m’avait pas préparée à la pensée de survivre à ceux qui m’étaient chers, et pourtant mon grand âge m’a fait laisser derrière moi bien des générations.

La vie ne me présente plus qu’un aspect sombre et monotone. Je tâche de ne point témoigner d’humeur aux autres et de me résigner sans murmure aux volontés de Dieu. Mon ennui n’en est pas moins profond.

La cessation forcée de commerces si chers et si doux et de correspondances quotidiennes, qui donnaient un certain intérêt aux événements du jour, m’a rejetée dans les souvenirs du temps jadis, et, afin de tromper l’oisiveté du présent, j’ai repris ma plume, abandonnée depuis bien des années, pour retracer les derniers moments de madame Adélaïde et ceux de la monarchie de Juillet. Je la pose aujourd’hui et pour toujours.

Mon existence est devenue trop terne et je suis trop désintéressée de ce qui se passe dans le monde pour avoir rien à raconter désormais.