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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

relevant les yeux au ciel et levant les mains : « Mon Dieu, dit-elle d’une voix forte, mon Dieu, pardonnez-lui ses fautes. »

Les jeunes princesses se précipitaient vers le lit. Madame Adélaïde les retint : « Mes enfants, leur dit-elle en montrant le Roi et la Reine, il faut de l’équité dans la douleur ; laissez passer la leur. » Belles paroles dans la bouche d’une personne qui perdait en monsieur le duc d’Orléans l’objet de ses plus tendres affections, de ses plus chères espérances et qui ne se consolera jamais d’un si cruel événement.

Le Roi chercha à éloigner la Reine. Elle se laissa conduire dans la pièce voisine, puis, s’asseyant sur une chaise, elle dit résolument : « Je ne partirai pas sans Chartres ; je veux l’emmener avec moi. »

Les princesses et leurs frères avaient rejoint les malheureux parents, après avoir imité leur exemple et déposé leur dernière caresse sur ce front naguère encore si rayonnant de splendeur et d’espérances.

Je ne saurais dire comment des secours aussi pénibles à prévoir se trouvèrent si promptement improvisés ; mais, peu d’instants après, le corps, placé sur une civière, recouvert d’un drap noir, et entouré de prêtres, prenait le chemin de Neuilly.

La Reine suivait immédiatement, appuyée sur le Roi. Madame Adélaïde, les jeunes princesses, les princes, les dames, les ministres, les notabilités de tout genre qui, dans ces heures d’anxiété, avaient pénétré dans le carré formé par la troupe devant la misérable cabane où s’accomplissait le funeste événement, se pressaient à leur suite.

La foule encombrait la route ; elle accompagna religieusement jusqu’à l’entrée du parc.

La Reine avait elle-même donné l’ordre de préparer un lit dans la chapelle pour y placer Chartres.