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CHUTE DE LA MONARCHIE D’ORLÉANS

Elle offusquait très souvent les nombreux groupes qu’il me fallait côtoyer bien respectueusement au pas. Je recueillais toujours des regards courroucés, souvent des insultes. On n’en était pas encore venu aux voies de fait, mais cela pouvait arriver à chaque rassemblement.

Nous cherchions bien à les éviter, mais en s’éloignant de l’un on tombait dans un autre, car ils étaient nombreux.

Quelques-uns d’entre eux traînaient de gros arbres, s’arrêtaient au coin d’une rue ou d’une place et les plantaient, en les qualifiant d’arbres de la liberté.

Les bandits et les femmes abjectes, s’employant à ce travail impie, mêlaient la dérision à la profanation. Ils exigeaient qu’un prêtre de l’église la plus prochaine vînt, en étole et en surplis, le goupillon à la main, bénir ce symbole des horreurs de quatre-vingt-treize. Puis quelques-uns d’entre eux se détachaient et allaient, de porte en porte, quêter de l’argent pour arroser l’arbre nouvellement planté.

Personne n’osait refuser ce don patriotique. La libation se faisait au cabaret le plus voisin, et le groupe allait recommencer sa profitable industrie un peu plus loin.

Aussi, dès le milieu de mars, Paris présentait-il l’aspect d’un bois. J’étais sortie inquiète, je rentrai épouvantée.

La nuit arrivée, des escouades de gamins couraient les rues en psalmodiant les cris : Des lampions, des lampions ; et il fallait illuminer pour éviter d’avoir ses fenêtres cassées. Ceci n’avait pas un caractère hostile, mais tenait en assez grand émoi.

Mes affaires se trouvant à peu près réglées, je partis le 14 mars pour Tours. Aucun devoir positif ne me retenait en France. J’allai rejoindre le chancelier, bien déci-