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CHUTE DE LA MONARCHIE D’ORLÉANS

lui faillit ; il s’en était repenti dès le lendemain, et lui, Ledru-Rollin, Louis Blanc, et Flocon, avaient paru à l’Hôtel de ville avec de grandes plumes rouges à leurs chapeaux. Messieurs Arago, Garnier-Pagès, Marie et Marrast les leur avaient fait quitter.

Ces dissentiments, dans leur propre sein, n’étaient pas de nature à nous donner sécurité, et, d’après les récits qui nous en arrivaient, nos craintes prenaient plus ou moins de force.

Parmi les personnes que je voyais, non seulement tous les jours, mais plusieurs fois par jour, monsieur Molé était celui qui montrait le plus de courage, et monsieur de Barante le plus abattu. Je flottais entre ces deux extrémités.

J’étais toujours dans la plus grande anxiété au sujet du chancelier. Si on se rappelle que, parmi les gens élevés au sommet d’un pouvoir sans frein par la tourmente révolutionnaire, la plupart avaient été jugés et plusieurs condamnés par lui, on comprendra la profondeur de mon inquiétude.

Sans doute, ces procès avaient été conduits avec autant d’urbanité, d’impartialité que de justice ; mais il était impossible d’apprécier le ressentiment conservé par les coupables, ni de deviner comment ils le témoigneraient.

Nous n’osions pas nous écrire, mais nous avions des communications assez fréquentes. Je savais monsieur Pasquier arrêté à Tours, sans être molesté jusque-là, mais tout seul dans une auberge, son fils ayant été obligé de retourner près de sa femme.

Je parvins à obtenir du marquis de Brignole, ambassadeur de Sardaigne, un passeport comme veuve d’un général piémontais, me rendant à Turin avec mes gens et un médecin.