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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

cheval et au pas, perçant la foule des émeutiers qui s’ouvrait devant lui, et les battant de l’œil, selon l’expression favorite des bulletins de l’Empire.

Tout le monde se dispersa. Le palais fut envahi, hormis l’appartement de madame la duchesse d’Orléans ; il fut respecté, personne n’y entra.

Madame la duchesse de Montpensier avait été oubliée dans cette bagarre. Monsieur de Lasteyrie la rencontra errante dans le palais, lui donna le bras, et la conduisit à pied chez sa femme, dans la rue de la Ville-l’Évêque.

Selon mon usage de m’arrêter sur les petits faits dont j’ai la certitude, je veux placer ici ce que madame de Dolomieu m’a raconté. En sortant de la messe le jeudi matin, elle dit à sa sœur, madame de Montjoie :

« Tout ceci me semble prendre une vilaine tournure. J’ai trois billets de mille francs dans mon secrétaire. Je vais les coudre dans la doublure de ma robe. »

Madame de Montjoie haussa les épaules. Lorsqu’elles se retrouvèrent au déjeuner, madame de Dolomieu fit signe à sa sœur qu’elle avait accompli son projet, en faisant craquer les papiers sous sa robe. Celle-ci en parla à sa voisine, la duchesse de Nemours. Cela fit le tour de la table ; et, lorsqu’on en sortit, toutes les princesses et les princes, y compris le duc de Montpensier, si épouvanté quelques moments plus tard, entourèrent la dame d’honneur en l’accablant de quolibets : « Cette pauvre Zoé, ah ! cela lui ressemblait bien, etc., etc. »

Et pourtant, lorsque je la revis, ces trois mille francs étaient sa seule ressource, car tout avait été pillé dans son appartement.

J’ignore à quelle occasion et dans quel moment éclata dans le château la panique qui entraîna, si promptement après, la fuite du Roi.

Madame de Montjoie, en proie à une violente migraine,