Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome V 1923.djvu/116

Cette page a été validée par deux contributeurs.
113
CHUTE DE LA MONARCHIE D’ORLÉANS

— Mais, je vous le répète, je n’en ai pas l’emploi.

— Eh bien, je me retire. Écoutez-moi, madame de Boigne, faites bien des vœux pour nous, et pour que nous conservions le pouvoir ! Si vous pouviez savoir ce qui arriverait si on nous renversait, vous n’auriez pas un cheveu qui ne se dressât sur votre tête. Moi qui le vois et qui l’entends, j’en suis épouvanté, mais d’autant plus décidé à faire tête à l’orage. Adieu, priez pour nous, et comptez sur moi. »

Il s’avança vers la porte, puis il revint et ajouta :

« Si, d’ici à quelques heures, par un motif quelconque, vous changiez d’intention, envoyez-moi une lettre qui ne contienne que ce seul mot : J’accepte. Je tâcherai de vous faire arriver ce que vous ne voulez pas garder maintenant ; mais songez que le temps a des ailes et que les événements marchent aussi vite que lui. »

Je fus très étonnée de cette démarche de monsieur Arago. Je me la suis expliquée depuis, lorsque j’ai su que le roi Louis-Philippe avait séjourné trente-six heures à Trouville ; on devait naturellement le supposer réfugié chez moi.

Je reçus enfin la nouvelle de l’arrivée de monsieur Pasquier à Tours. Gaston voulait le mettre à l’abri jusque dans les Pyrénées ; mais le chancelier avait repris toute son énergie et ne voulut pas s’éloigner davantage sans savoir ce qui se passait à Paris.

Pendant ce temps, je recueillais de toutes parts des détails sur le départ du Roi. Au milieu de ces angoisses, j’avais une satisfaction réelle. Tous les récits montraient la Reine aussi noble, aussi grande que je la désirais ; elle seule avait conservé son sang-froid et sa dignité.

Le Roi, à sa prière, était monté à cheval ; mais, en voyant les colonnes de la populace conduites par des