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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

assez mécontentes l’une de l’autre. Je ne suis pas sûre de l’avoir revue.

Le lendemain au soir, étant dans mon salon entourée de quelques personnes, on vint m’avertir qu’on demandait à me parler en particulier. Toujours préoccupée du chancelier, je pensais que c’était un messager de lui.

Je me hâtai de passer dans une autre pièce, éclairée par un seul bougeoir. J’aperçus dans la partie la plus obscure un gros homme enveloppé d’une grosse redingote, fort crotté, un parapluie à la main. Je fus très étonnée de reconnaître monsieur Arago.

» Chut, me fit-il, pour arrêter l’exclamation prête à m’échapper, je suis ici au péril de ma vie ; si on en avait le moindre soupçon, je serais perdu. Il faut l’importance de cette entrevue pour m’y être exposé. Avez-vous quelqu’un de caché à faire sauver ? je vous apporte des passeports parfaitement en règle.

— Mais, non, répondis-je ; vous avez eu la bonté de m’en envoyer un pour le chancelier. Je n’ai pu encore le lui faire parvenir ; je ne sais même où le trouver.

— Le chancelier ne court aucun risque. Mais vous enfin, n’avez-vous pas quelque prince, quelque princesse dont vous soyez embarrassée ?

— Mon Dieu non ; j’ignore la retraite de tous.

— Surtout ne me faites pas l’injure de me soupçonner de pouvoir vous trahir.

— Je vous en sais incapable, mais je n’ai rien à vous confier.

— Vous en êtes sûre, bien sûre.

— Très sûre.

— J’ai là trois passeports, et cent mille francs, dans ma poche ; vous ne voulez pas que je vous les laisse ?

— Non, assurément.

— J’ai l’autorisation du gouvernement provisoire.