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CHUTE DE LA MONARCHIE D’ORLÉANS

en effet, quelques heures après, il m’arriva une espèce de laissez-passer signé par les membres du gouvernement provisoire, et qui pouvait à la rigueur servir de passeport.

Je m’empressai de l’expédier à Pontchartrain. Mon messager n’y trouva plus personne.

Le marquis Pasquier, arrivé dans la nuit, avait emmené son père dès le grand matin. On croyait qu’ils avaient dû gagner le chemin de fer d’Orléans par Rambouillet.

Mon messager, en me remettant les papiers et quelques rouleaux d’or que j’avais envoyés, dans le cas où mon pauvre ami s’en serait trouvé dépourvu dans la hâte de son départ, me dit avoir appris par le régisseur que Gaston Pasquier avait l’air très inquiet et très pressé.

Le chancelier, fort abattu, ne proférait pas une parole. Ce rapport ne me consola guère ; il me fallut attendre d’autres nouvelles.

Ce qui se passait autour de moi servait aussi à redoubler mes inquiétudes. Je reçus, le dimanche matin, la visite de madame Émile de Girardin, très belle, très animée par la marche et par la victoire, une véritable Bellone.

Elle venait me recommander d’ouvrir ma maison, de donner des dîners, des soirées priées, afin de montrer au peuple à quel point je me confiais dans ses admirables dispositions.

Je lui répondis que, depuis longtemps, je vivais dans la retraite. Je lui avouai ne pouvoir partager son enthousiasme pour les promeneurs que j’entendais hurler dans les rues. Elle me fit une très poétique description des sentiments élevés existant sous ces haillons.

Elle comptait bien alors gouverner la France en commun avec monsieur de Lamartine. Je ne sais si elle a conservé cette illusion longtemps. Nous nous séparâmes