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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Le jeune ménage Pasquier habitait le Luxembourg. Mais, ayant dîné le mercredi chez leur beau-père, monsieur de Fontenillat, dans la rue de la Chaussée-d’Antin, ils n’avaient pu regagner leur domicile. Le marquis Pasquier essaya de s’y rendre de grand matin, sans y réussir. Les ponts étaient gardés.

Je restai donc sans nouvelles du chancelier. Je me figurais le voir arriver d’un moment à l’autre, et je m’occupai à lui chercher un asile où il pût être mieux caché que chez moi ; car le trouble gagnait notre quartier d’ordinaire si paisible.

Une boutique d’armurier, située en face de mes fenêtres, fut pillée. Bientôt après, un bruit affreux vint nous assourdir. C’était une foule de bandits atroces, de mégères échevelées et moitié nues échappées de Saint-Lazare, dont le peuple avait forcé les portes, et escortant, avec des vociférations infâmes, une troupe de cavaliers sans armes, la plupart tête nue, tandis que des gamins déguenillés portaient leurs carabines et leurs coiffures.

Cela s’appelait alors pactiser avec le peuple. C’est un des plus hideux spectacles auquel des gens paisibles puissent être condamnés à assister.

Malgré cet état des rues, je ne laissai pas que de voir assez de monde, chacun épouvanté et ahuri, les femmes portant leurs diamants dans leurs poches, les hommes s’ingéniant pour leur chercher un refuge.

Je sus les Tuileries, le Palais-Royal, les ministères envahis et tous les meubles précieux, aussi bien que les papiers, jetés par les fenêtres. Le même sort était bien présumable pour le Luxembourg, et les hôtels particuliers ne devaient probablement guère tarder à le subir.

À la chute du jour, j’essayai d’envoyer un homme par le pont d’Iéna pour rejoindre le chancelier. Peu d’ins-